Il y a des vies qui s’écrivent en ligne droite, et d’autres qui se gravissent. Avec de longues stations immobiles entre deux prises. Celles de Julia Chanourdie, c’est toute une ascension
Elle n’a jamais eu besoin de choisir. Elle a juste continué.
Elle aurait pu grimper à l’ombre des autres. Mais Julia a pris la lumière. Pas celle des projecteurs — celle qui découle du geste juste. Celle qui naît d’une fidélité à soi, même dans l’exigence du très haut niveau. Très tôt, elle a compris que sa verticalité ne serait pas une carrière, mais une continuité. Une manière d’être au monde.
Son père, Eric Chanourdie, n’a jamais tracé de voie toute faite. Il a transmis autre chose : une forme de rigueur libre, inspirée des puristes des années 70. L’humilité de ceux qui ne séparent jamais la falaise de la personne. L’exigence de ceux qui ne cherchent pas à faire mieux, mais à faire vrai. Julia est l’héritière de cet esprit. Elle ne l’exhibe pas. Elle grimpe avec.
Et puis il y a eu les compétitions. Les podiums. Les qualifications. Tokyo. La première Française aux Jeux Olympiques d’escalade. Un mur vertical face au monde entier. Une autre forme d’ascension, calibrée, codifiée, millimétrée.
Et pourtant, ce n’est pas là que Julia a écrit sa page la plus libre. Ce fut un peu plus tôt, un peu plus loin. Sur une paroi naturelle baptisée Eagle-4, en novembre 2020. Une ligne austère, cotée 9b. Une performance exceptionnelle — et discrète. La troisième femme au monde à réussir ce niveau. Mais au-delà du chiffre, c’est le choix du lieu, du moment, de la solitude maîtrisée qui raconte qui elle est. Là, pas de public. Pas de chronomètre. Juste elle, le rocher, et cette part d’invisible que l’escalade rend tangible.
Puis vint l’après. Ce que l’on évoque rarement. Le corps qui flanche. Les douleurs persistantes. Les silences administratifs. Les questions sans réponse. À quoi sert-on, quand on ne gagne plus ? À quoi se raccroche-t-on, quand les sponsors regardent ailleurs ? Julia a traversé, comme tant d’autres, ce vide qui suit les sommets. Ce moment où l’on ne sait plus très bien si l’on grimpe pour soi, pour les autres, ou pour maintenir en vie une identité qui nous échappe.
Mais la beauté d’un sommet n’annule pas l’ombre d’un retour. Après les Jeux, il y a eu du vide. Du doute. Le corps qui n’avance plus.
Comme tant d’athlètes, Julia a connu l’instant vertigineux où le sport n’est plus un jeu, mais un miroir trop net.
Elle aurait pu décrocher. Mais elle a choisi autrement. Elle est retournée à la source. Aux falaises, aux amis, aux projets sans audience. Là où l’effort n’est plus une obligation mais une célébration. Là où chaque pas retrouvé est une victoire silencieuse.
Aujourd’hui, elle n’a plus besoin de prouver. Elle veut transmettre. Explorer. Ouvrir. Elle trace les prochaines années comme on trace une voie en falaise : à l’instinct, avec méthode. Des projets de grimpe, des histoires à raconter, un lien à prolonger entre la compétition et la nature, entre la performance et l’essentiel.
Elle vise Los Angeles 2028, peut-être. Mais pas pour cocher une case. Pour continuer à chercher. À comprendre ce que la grimpe dit d’elle, des autres, du monde.
Julia ne grimpe pas pour conquérir. Elle grimpe pour rester debout, là où le vide nous rappelle ce que c’est qu’exister.